La presse et l’importance de la transformation numérique dans tout ça !

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#JaimeLaPresse

«  Aujourd’hui les lecteurs sont prêts à admettre que l’information originale a un prix. On ne peut pas bloquer un journaliste sur une enquête pendant plusieurs semaines ou l’envoyer en reportage sans faire payer l’article.
C’est une question de bon sens.  »

Développer une présence en ligne pour les médias traditionnels représente pour les médias bien plus qu’une simple perspective de développement, un enjeu de visibilité et d’engagement digital auprès de ses lecteurs mais une offre informationnelle captive et multidirectionnelle que le public recherche depuis n’importe quel supports visuels, entre accessibilité, instantanéité et partage.

Nous avons donc demandé à Alexandre Phalippou, Directeur numérique de l’Obs, ancien Rédacteur en chef du numérique à La Tribune et Rédacteur en chef pour le HuffPost qu’il nous partage son expérience et qu’il nous définisse l’âme d’un hebdomadaire devenu avec les années un média en ligne…

En quoi la dimension numérique que vous développez est-elle importante pour le travail des journalistes au quotidien au sein de la rédaction tout comme sur le terrain ? Mais aussi pour la notoriété du journal, de l’ergonomie du site, la diffusion et l’engagement auprès des lecteurs et internautes ?

La dimension numérique est devenue aujourd’hui primordiale. En termes de visibilité tout d’abord. Une information, un reportage, une interview se doit d’être en ligne si on veut que les gens en parlent, que les confrères reprennent l’info. Et, au-delà, cela permet d’aller montrer à des lecteurs potentiels les articles que nous produisons et donc, à terme, de lui donner envie de s’abonner. Cela a bien évidemment changé le rapport à l’information. Le lecteur a accès quelques heures après une actualité à des premières analyses, des éditos, des interviews, des articles anglés. Très rapidement, l’internaute est saturé. Il faut donc trouver le moyen d’être plus original que les autres sur un sujet mais aussi proposer des sujets qui vont intéresser en étant les premiers à les aborder. Enfin, la dimension numérique permet une interactivité avec le lecteur qui n’existait pas sur le papier, sauf à travers le courrier des lecteurs. Nous pouvons corriger une imprécision en toute transparence avec nos lecteurs, enrichir un article au fil de la journée, recueillir de nouveaux témoignages… Le lien qui se tisse avec le lecteur est très fort.

Quelle est l’innovation, le projet numérique que vous avez porté dont vous êtes le plus fier ? Et quels ont été les freins en interne, les bénéfices pour la rédaction ?

Ce n’est pas un projet que j’ai porté mais plutôt accompagné car il était déjà sur les rails à mon arrivée. Il s’agit de notre changement de back office. Cela peut paraître être un simple changement d’outil mais cela va bien au-delà. Le fait d’avoir désormais un seul outil – celui développé par Le Monde – pour le print et le web permet de réellement passer au bi-média. Concrètement, cela veut dire que les articles écrits pour le print peuvent être facilement publiés sur le web, ce qui permet à l’édition de se concentrer sur sa valeur ajoutée plutôt qu’à devoir migrer un article d’un back office vers un autre. Inversement, un article dans l’actualité peut être publié d’abord sur le web pour ensuite être retravaillé en vue d’une publication print. Il y avait forcément un peu d’appréhension avant de s’approprier un nouvel outil mais c’est finalement allé très vite sans poser de problème majeur aux journalistes. On le doit à la rédaction qui a joué le jeu et aux formations d’Olivier Chareau, du Monde, et de Bertrand Courrège à l’Obs, qui ont su faire prendre en main le nouveau back office de manière très concrète et avec une grande pédagogie.

Quels sont les enjeux de la mutation numérique dans la presse, le journalisme d’une façon générale et singulièrement depuis l’utilisation des data, du machine learning et de l’intelligence artificielle ?

Il y a un enjeu de support, c’est vrai. Mais toutes les innovations ne doivent pas faire oublier une chose : aucun robot ne sortira de scoop, aucun robot ne trouvera le bon témoignage. Le métier reste le même, il change juste de support et rend la concurrence plus rude car le lecteur a désormais accès à l’ensemble de l’offre. Sur le print, il avait ses habitudes et lisait un, deux ou trois journaux, en ignorant ce qui était écrit dans les autres (à l’exception de la couverture qu’il pouvait voir en kiosques). Aujourd’hui, via Facebook, Google, Apple News, etc., il voit la production de chaque média et peut piocher comme il le souhaite. Les nouveaux outils doivent être utilisés pour que les lecteurs potentiels voient nos articles. Ils sont de qualité. Je n’ai aucun doute sur le fait que s’ils les voient passer, ils finiront par prendre un abonnement numérique. Tout le travail consiste à faire en sorte qu’ils ressortent dans la masse d’articles auxquels le lecteur est quotidiennement exposé.

A votre avis, quel est le plus gros challenge du métier aujourd’hui ? Est-ce la question de la mobilité, des nouvelles formes de consommation de l’information, des fake news, de la distinction « floue » entre éditoriaux et publicités, des réseaux sociaux captant tout le trafic et l’attention des lecteurs outrepassant les médias traditionnels, les moteurs de recherches et leur nécessaire contrainte de référencement, le manque de personnel et de ressources ?

Le principal défi, qui se retrouve dans ce que vous dites est la défiance généralisée des Français vis-à-vis des médias. Longtemps, les médias étaient la seule porte d’entrée pour avoir des nouvelles. Aujourd’hui, n’importe quelle personne, qu’elle soit politique, chef d’entreprise ou footballeur, peut s’adresser directement aux gens sur les réseaux sociaux sans passer par le filtre des médias. C’est à la fois une bonne chose car les internautes ont un accès direct à leur parole et en même temps inquiétant car l’info n’est pas passée par le tamis des journalistes, qui l’auraient vérifiée, analysée ou nuancée… Il faut se battre contre cette méfiance. Et le meilleur moyen, c’est d’être transparent. Lorsque l’on se trompe, il faut le dire et corriger. Les internautes les plus virulents deviennent très positifs lorsque l’on reconnaît ses torts, lorsque l’on modifie une phrase qui a été mal interprétée, etc. Ce n’est qu’en écoutant ce que le lecteur a à nous dire que l’on restaurera la confiance. C’est le problème des “fake news” aujourd’hui. Les médias ont beau prouver que c’est faux, beaucoup de lecteurs ne les croient pas. C’est même l’inverse: démonter une fake news peut renforcer la fake news. Il faut briser ce cercle vicieux.

Selon vous quel avenir pour la monétisation de l’information ?

Je crois qu’aujourd’hui les lecteurs sont prêts à admettre que l’information originale a un prix. On ne peut pas bloquer un journaliste sur une enquête pendant plusieurs semaines ou l’envoyer en reportage sans faire payer l’article. C’est une question de bon sens. Je pense que les autres secteurs culturels nous aident à briser cette logique internet du “tout gratuit”. Les Français sont désormais habitués à payer un abonnement Netflix, un abonnement Deezer ou Spotify, un abonnement Izneo pour lire des BD… tout cela va dans le même sens et avoir un abonnement numérique à un journal devient normal. En témoigne la croissance de Mediapart ou du Monde en termes d’abonnements numériques. A l’Obs, les abonnements ont doublé en l’espace d’un an. Le principal risque, ce serait un abonnement mensuel à un kiosque permettant de consulter les articles de l’ensemble de la presse. Je suppose que le média serait rémunéré par le kiosque au nombre d’articles vus. Je vois bien la logique pour le consommateur, proche de Netflix ou Spotify (pour une somme forfaitaire j’ai accès à l’ensemble de l’offre) mais je ne vois pas le modèle économique pour le média: aucun scoop ne permettra de rémunérer l’ensemble d’une rédaction. Sans parler des sujets moins attractifs au départ, moins “vendeurs”. Dans un kiosque, le lecteur passera son chemin. S’il est abonné à un journal en particulier, il y jettera un coup d’oeil, le découvrira et l’appréciera s’il est de qualité.

Alexandre, une question un peu plus personnelle, comment utilisez-vous les médias sociaux et notamment Twitter, est-ce l’espace d’un coup de gueule, un lâcher prise, une nécessité vital de revenir à soi-même et à ses passions où tout autre chose ?

Twitter est essentiellement un outil de veille, indispensable pour le travail. Ce sont des millions de paires d’yeux qui peuvent repérer la petite histoire dont personne n’aurait parlé auparavant. Il peut être aussi un outil de promotion, pour des articles que j’ai appréciés. Et, enfin, un outil de discussion, de découverte. Mais de moins en moins, il faut l’avouer, car c’est un espace qui devient de plus en plus violent, comme le dénoncent de nombreux internautes. Concernant Facebook, j’y suis très peu actif. Je n’ai pas cette culture de partager ma vie personnelle et familiale à des personnes avec lesquelles je suis certes “ami” sur Facebook mais que je n’ai pas vues depuis des dizaines d’années.

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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